« Quand on planifie, l’Univers rit… ». 

La chronique d’Éléna Fourès, expert en leadership et multiculturalité,
fondatrice du cabinet IDEM PER IDEM.
elena.foures@idem-per-idem.com

Ce proverbe Yiddish reflète une réalité répandue : chaque planification ou prévision à long terme est un exercice périlleux, car toutes les données ne sont pas à notre disposition. Ainsi, Ludwig Van Beethoven se préparait à une brillante et longue carrière de pianiste soliste et d’improvisateur, lorsque sa surdité grandissante l’obligea à quitter les feux de la rampe et à se consacrer à la composition. S’il s’était laissé abattre, nous aurions été privés d’un monument de la musique : parfois, un événement perturbateur n’est qu’une valeur d’ajustement… Alors, comment rebondir face au mauvais coup du sort ?

D’après Maurice Blondel, « L’avenir ne se prévoit pas, il se prépare. ». La préparation est la condition sine qua non d’un rebond réussi : essayez donc de sauter sans plier les genoux au préalable ! Le mot préparation induit une certaine souplesse, ainsi que la conscience de ce qui dépend et ne dépend pas de soi. Faites attention avec la planification, surtout lorsqu’elle est détaillée, car elle a un côté rigide et mécanique, qu’il est facile alors de faire dérailler par l’intervention d’éléments hors de votre contrôle. Il faut donc, en plus de préparer, se projeter dans l’avenir, en gardant à l’esprit que, comme dans le Texas Hold’em, toutes les cartes ne sont pas encore sur la table.

Posez-vous la question suivante : en quoi la situation que vous vivez correspond-elle à une défaite ? Si vous avez fait de votre mieux, si le dénouement ne dépendait pas à 100% de vous, alors ça ne peut pas être un échec. Les artistes vivent cela au quotidien : l’issue d’une audition dépend rarement uniquement de la qualité de la prestation (le metteur en scène cherche un petit blond et vous êtes grand et brun). N’abandonnez pas trop vite, ou vous pourriez passer à côté d’un projet meilleur encore, sans le savoir.

Lorsque la vie vous adresse une fin de non-recevoir, il est normal de réagir émotionnellement dans le court terme. Laissez le flot émotionnel (colère, tristesse…) s’écouler, mais dites-vous que l’action seule vous permettra de sortir de l’impasse. Enrichissez votre échelle d’évaluation de graduations nouvelles : défaite, match nul, petite victoire, victoire, grande victoire. Cette vision moins binaire vous aidera à relativiser et à mieux « digérer » les choses.

Enfin, et c’est peut-être le plus important, posez-vous la question : qu’ai-je obtenu à travers cette situation ? Une information nouvelle sur le fonctionnement de mon environnement ou sur moi-même, des compétences nouvelles que je vais pouvoir déployer ailleurs, etc. Abraham Lincoln expliquait que, s’il avait 6 heures pour couper un arbre, il en passerait 4 à aiguiser sa hache. Imaginons que l’arbre, frappé par la foudre, se retrouve brûlé et donc inutilisable : que reste-t-il au 16ème président des États Unis d’Amérique ? Une hache bien aiguisée qu’il pourra utiliser à une autre occasion, et ce de manière immédiate !

« Je ne perds jamais, soit je gagne soit j’apprends » disait Nelson Mandela. Considérez la vie comme un « Serious Game », agissez en prenant des risques calculés, et, quand l’univers vous joue des tours, ne dites jamais « Game over », mais décidément « Game ON ». Après tout, « Les défaites d’aujourd’hui sont les victoires de demain » …

A FAIRE

Inclure l’imprévisible
Refrénez-vous de tout planifier en mode cartésien. Attribuez une chance, même minime, à l’imprévisible, c’est une façon de « courtiser » son destin. Sachez à quels ports vous devez jeter l’ancre, et apprenez à connaître les courants, les marées et les signes avant-coureurs de la tempête…

 

Développer la patience
Planifier, c’est tenter d’apaiser son impatience en se rassurant sur le fait que l’on avance. Or très souvent, c’est une véritable fuite en avant qui s’organise alors. « Avancer à tout prix » est un virus mental très répandu de nos jours : en réalité, l’important n’est pas d’avancer mais de grandir. « Patience ! Avec le temps, l’herbe devient du lait. » (proverbe chinois).

 

Cultiver l’humilité
Le futur n’est pas maîtrisable par définition, il est donc urgent de l’accepter. La véritable humilité correspond à la capacité à connaître et reconnaître ses talents, et sa propre place dans le monde et dans le temps. N’oubliez pas la formule rituelle « S’il plaît à l’Univers, aux Ancêtres, à la Déesse Fortuna (selon vos croyances et votre culture d’origine) … » pour garder à l’esprit ce que j’aurais appelé, en paraphrasant Milan Kundera, l’Incroyable Fragilité de l’Être.

A ÉVITER

Le syndrome de la victime
Ne dites pas que le destin s’acharne contre vous et que c’est injuste. Cela vous obtiendra la sympathie (momentanée) de ceux qui vous écoutent, mais vous constaterez bien vite que leur nombre diminuera rapidement. Saisissez plutôt l’occasion d’apprendre à perdre avec grandeur et élégance. Vous verrez que vous transformerez un mauvais coup du destin en victoire personnelle.

 

La rancune
La rancune vis-à-vis du gagnant, ou de ce qui vous a fait perdre (que ce soit une personne ou une circonstance) vous fait apparaître comme particulièrement « petit », et de ce fait, prolonge et accentue votre défaite. Ne vous y abaissez-pas, faites preuve de noblesse, aidez le gagnant, entrez dans son équipe, étonnez votre entourage ! On ne vous en respectera que d’avantage : c’est ce que l’on appelle tirer son épingle du jeu…

 

Le virus mental de « serial winner »
Personne n’aime perdre. Mais vouloir toujours gagner au point de ne pas accepter la défaite est un virus mental dangereux. D’abord cela vous rend manipulable (victoire perçue mais défaite avérée), et cela entretient l’impatience qui provoque des faux pas. Et, selon Louis XIV, « C’est toujours l’impatience de gagner qui fait perdre ». Soyez bon joueur d’échecs, et apprenez à bien perdre pour gagner.